The pocket book of impro

18/12/2013 15:14

 

Une de mes élèves, très curieuse d’aller plus loin en improvisation, a fait naître une idée qui va donner lieu à une suite d’articles : The pocketbook of Impro.

Tout d’abord, j’explique comment je me sers de l’impro, et à quoi ça sert. Il ne s’agit pas de transformer tous mes élèves en scatteurs fous sur des grilles de hard-bop ! Non, je parle ici d’improvisations “avec consigne”, et la simplicité et la variété des consignes font de cette pratique un jeu infini, seul ou à plusieurs, avec des voix ou des instruments.

La notion de consigne englobe toutes les compétences du chanteur : aspects techniques, expressifs, compétences de mémorisation et de présence, harmonie, rythme et structure, maîtrise du langage, etc.

Le fait d’explorer, d’expérimenter, de prendre la consigne comme un terrain de jeu temporaire et sans danger pour l’ego permet de faire des erreurs, et donc de découvrir au vrai sens du terme, comme les enfants apprennent à marcher ou à parler.

L’expérience accumulée pendant le temps d’improvisation va nourrir la mémoire et le corps, et on sera surpris de retrouver des sentations ou des facilités techniques, à d’autres moment dans la vie du chanteur.

 

Bénéfices secondaires, mais non négligeables :

- Dans cette démarche, tout improvisateur va rencontrer ses limites, ses blocages ; s’il a enregistré et débrifé avec honnêteté ses impros, il n’a d’autre choix que de reconnaître objectivement ses limites, de se familiariser avec pour les accepter, puis de décider -ou non- de les travailler.

- Au fur et à mesure des impros, on s’aperçoit que l’on fait des choses que l’on pensait impossibles… on progresse. Et si on utilise cela dans un groupe constitué, outre un moyen de se connaitre sur tous les plans, cela peut devenir une véritable méthode d’arrangement et de composition.

 

Allez, assez de théorie ! Comment ça marche ?

On prend par exemple 1 chanteur et 1 percussionniste avec son instrument. On les assied par terre. On décide d’une consigne, par exemple “style asiatique en mode pentatonique”, ou “ruptures de pulsation”, “variations autour du Do”, ou encore “contrastes entre valeurs longues/voyelles et attaques/consonnes”, et on les laisse démarrer. L’impro peut durer 1 ou 15 minutes, peut se finir dans des éclats de rire ou dans un simence magique. Parfois, on s’ennuie ferme ; alors on explicite les difficultés, on reformule la consigne et on recommence. Parfois on est très étonné du résultat, parfois l’enregistrement révèles des choses que l’on n’avait pas perçues. Ensuite on débriefe, et puis on passe à autre chose.

Voici un humble enregistrement, de 2 chanteurs, débutants en percussions. La consigne était “se débrouiller avec la voix plus un instrument, tout en créant un dialogue à deux”.

 

 

“Mais ton histoire d’impro, c’est ultra-cérébral !”

Oui… et non ! Ce qui est prévu et réfléchi, c’est le cadre et la consigne. Ensuite, c’est le soi en entier qui est en action, avec tout ce que l’on ne perçoit pas, tout ce que l’on ne contrôle pas. Auquel s’ajoute la part obscure de la relation, si on improvise à plusieurs. Notre “contrôle” n’est que très limité sur une impro, c’est bien pour cela que l’on formule une consigne, qui au moins va nous mettre sur des rails au démarrage.

Notez qu’une impro dite libre, mais sans consigne ni cadre n’est que du n’importe quoi, et généralement ne donne rien, et ne permet pas non plus de travailler quoi que ce soit. Soyez sur que lorsque vous écoutez un pro faire une impro qui semble libre, il s’est donné des consignes internes. Ecoutez Bobby McFerrin : il est à la fois totalement libre, et conscient de ce qu’il fait. Ecoute 1Ecoute 2.

Ceci dit, il est fréquent chez un débutant en impro d’observer des comportements de blocage, de fou-rire, etc. Cela est dû à des pensées automatiques qui prennent le pas sur la consigne et qui anéantissent l’effort de présence : “je ne vais pas y arriver”, “je ne sais pas faire”, “les autres vont me trouver ridicule”, etc. Une fois que l’on a pris conscience de ça, on formule des consignes ultra-simples et très encadrantes (par exemple, on peut limiter l’impro dans le temps, ce qui rassure beaucoup le chanteur) et on se remet au travail ; je n’ai jamais rencontré personne qui ne surmontait pas ces blocages.

Dans quel ordre utiliser les consignes ?

Je suis très affirmative sur ce qui va suivre : il est contre-productif, voire nocif, de faire travailler les gens sur des consignes stylistiques, émotionnelles ou fictionnelles si les bases techniques ne sont pas suffisemment développées. Cela revient à vouloir construire le sommet d’une pyramide avec son crépi, sans avoir posé les pierres de fondation. C’est malheureusement ce que l’on rencontre parfois dans les lieux d’art-thérapie/ musicothérapie, où les intervenants n’ont pas le bagage technique suffisant pour expliciter et faire travailler les bases ; les pratiquants se retrouvent sollicités sur des consignes très peu concrètes, sans avoir aucune maîtrise de leurs instrument et aucun vocabulaire. On constate alors des comportements vocaux totalement répétitifs, générant de la frustration. Les gens restent dans l’illusion que l’impro ne se travaille pas, et se réduit au flux de “ce qui passe”. Or, ce qui passe est constitué principalement d’habitudes et de limitations, et ne s’enrichira que par une prise de conscience, dans une démarche structurée.

Il est donc important de faire passer chaque improvisateur au moins une fois par les types de consignes suvantes, afin de lui donner la conscience de chaque champ possible d’exploration :

  • Consigne de pulsation
  • Consigne de mesure (O Passo 3pas, 4pas, 5pas…)
  • Consignes de langage - travail sur 2-3 consonnes, sur la déformation des voyelles…
  • Consigne de note-pivot et de note-bourdon
  • Consigne d’espace tonal limité (tierce, quarte, quinte…)
  • Consigne d’écoute de l’autre
  • Consigne de nuance
  • Consigne de rôle primaire (voyelles / langage / bruitage)
  • Consigne d’évolution de phrase, de structure
  • Consigne de boucle
  • Consigne de timbre ; imitation d’animaux, d’instruments
  • Consigne de mode
  • etc. la liste n’est ni détaillée, ni complète

Chaque consigne peut être combinée avec d’autres, mise dans une contrainte de temps, accompagnée d’un instrument, seul ou à plusieurs. J’utilise pour certaines des supports pédagogiques autres que la parole (cartes, lettres imprimées, gestes du Sound Painting, etc.)

C’est seulement lorsque ces champs ont été abordés, qu’une certaine aisance technique sera possible, que l’on pourra passer à des choses moins concrètes :

  • Consigne de personnage
  • Consigne d’émotion
  • Consigne d’intention sur l’auditeur
  • Consigne de style
  • Consigne de rôle secondaire (mélodie/ contre-chant/ illustration/ rythmique/ harmonie)
  • Consigne “multi-tâche”

Ce second lot de consignes a pour rôle de stimuler l’imaginaire, de donner au chanteur du recul par rapport à ce qu’il chante, d’élargir ses possibilités d’interprétation, et de stimuler la curiosité pour d’autres styles vocaux que ceux abordés dans le travail de répertoire.

J’espère qu’il est clair à la lecture de ce qui précède qu’il faut faire les choses dans l’ordre :-)

 

 

Comment concilier l’improvisation avec les difficultés de rythme ?

Il est fréquent de rencontrer des chanteurs, parfois très avancés dans le travail de leur voix, ayant de réelles difficultés rythmiques. J’ai découvert que l’improvisation pouvait les aider, à combiner bien entendu avec du travail spécifique de rythme via le corps (méthode O Passo).

Je propose de traiter ce problème par différentes entrées :

  • travailler des impros longues, au départ sans aucune consigne de pulsation ni de rythme, mais plutôt d’imitation (d’instrument, de voix ou d’animaux) ou de découverte mélodique. Puis dans ces impros, de proposer une pulsation (donnée par un chanteur ou par un instrument de percussion aigu). Le chanteur va subir cette pulsation, s’y adapter plus ou moins facilement. C’est dans le débriefing que la prise de conscience peut se faire. En quelques essais il va intégrer cette consigne, mais en restant “libre”.
  • mettre dans les mains du chanteur des instruments de percussions variés, aigus/graves, secs/longs, demandant des gestes variés (baguette, frappe de main, tourne de poignet, secouement, etc.) et verbaliser l’ensemble des sensations vécues pendant les impros.
  • travailler spécifiquement sur les consonnes, et le contraste consonne-voyelles, sous forme d’impro et d’autres exercices (parlé-chanté, articulation, onomatopées, etc.), pour donner au chanteur la compréhension intime du rôle de la consonne dans le schéma rythmique.
  • progressivement, on va pouvoir proposer des impros chantées debout, avec un balancement de pulsation (binaire), d’abord avec un garde-fou (un partenaire), puis seul. Puis on va déléguer la pulsation au chanteur : il en aura la responsabilité.
  • Par ailleurs, en progressant dans la méthode O Passo, il aura pris conscience des découpages possibles de la pulsation et de la structuration en mesures. On pourra donc introduire des improvisations DANS LE CADRE des mesures proposées par O Passo, avec des consignes spécifiques, valorisant les autres compétences du chanteur (son timbre, sa créativité mélodique, sa tessiture), afin de lui procurer du plaisir : on va associer plaisir et rigueur rythmique ! A ce stade il faut être très attentif à l’équilibre entre l’effort et le confort, pour reprendre une expression d’un de mes professeurs. Cette période peut durer assez longtemps, car O Passo permet de combiner beaucoup de choses avec ma pratique, et on peut aller très loin dans la complexité, et dans la différentiation voix-pieds !
  • Normalement, on on verra à ce stade du travail de réels progrès, qui vont se réaliser dans le travail de répertoire. Le travail sur bande son, puis a capella, devient possible. L’élève sera bientôt prêt à faire de la musique avec d’autres !

Je ne saurais trop mettre l’accent sur l’importance du rythme* dans les compétences du chanteur. Ce dernier dans un ensemble instrumental est très souvent stigmatisé par son incompétence sur le sujet, et ce dans tous les répertoires. Etre incapable de prendre un départ correct sans l’aide expresse des musiciens peut devenir rédhibitoire !

Allez, pour illustrer ça, encore Bobby ! et again !

 

 

* rythme au sens large : tenue de pulsation, situation dans la mesure, maîtrise de la structure, reproduction et invention de rythmiques précises, placement de la prosodie